Honneur volé

Le régiment démantelé mérite que sa réputation soit réhabilitée.

De droit, cette question devrait être classée comme un scandale, avec une couverture de presse bien supérieure à celle qu’elle a reçue jusqu’à présent, et c’est aussi une question qui m’est très personnelle.

Je pense avoir déjà évoqué l’histoire de ma famille dans l’armée dans un précédent poste, ainsi que mes liens avec le PPCLI. Mon oncle «Spike», comme on l’appelait, était sergent lorsqu’il a pris sa retraite au début des années 80. Quelques années avant sa retraite, on lui a demandé (il lui était demandé) de se joindre au Régiment aéroporté du Canada. Ancien champion de boxe de l’armée, il avait ce qu’il fallait pour être un cavalier. Il a toujours couru tous les jours avec ses bottes de combat dans la cinquantaine, passant à des chaussures de course jusqu’à ce qu’il cesse de courir à la fin de la soixantaine.

Ainsi, lorsque le régiment a été dissous en disgrâce le 1er septembre 1995, à la suite du scandale somalien, j’ai ressenti le choc que l’on ressent lorsque l’on apprend qu’un membre de la famille est décédé. C’était comme si une partie de mon moi avait disparu d’une manière ou d’une autre maintenant. Je ne pouvais pas imaginer qu’il n’y ait jamais un Régiment aéroporté.

Au début, je ressentais de la colère envers ceux qui avaient commis les actes brutaux qui y avaient conduit. Eux, la chaîne de commandement sur le terrain, leur sort. C’était une bande de racistes dont les patrons leur avaient laissé le champ libre pour terroriser la population locale, parce qu’ils étaient trop fainéants ou n’avaient rien à faire. Grâce à eux, les Forces canadiennes avaient un œil au beurre noir et le Régiment aéroporté du Canada avait cessé d’exister. Chemin à parcourir, abrutis.

Mais peu de temps après, la méfloquine a fait la une des journaux et, tout à coup, les choses ne se sont pas si bien arrêtées après tout. Au fur et à mesure que l’histoire se déroulait, le blâme commençait à se faire sentir et les soldats se retrouvaient face à face avec le ministère de la Défense nationale et le groupe pharmaceutique suisse Hoffman-La Roche.

À cause de leurs actions, deux adolescents somaliens sont morts et la vie de certains soldats a changé pour toujours. Un grand nombre d’anciens combattants continuent de souffrir des effets secondaires cauchemardesques et, selon toute vraisemblance, les tribunaux entendront dans plusieurs années à l’avenir, dans le cadre de futures actions en justice.

La substance des cauchemars

Commercialisée sous le nom de marque Lariam, la méfloquine est un médicament antipaludique. Des médicaments antipaludiques sont disponibles depuis le 19ème siècle, lorsque les scientifiques français ont pu extraire la quinine de l’écorce de l’arbre à quinquina, originaire de la région andine de l’Amérique du Sud.

La quinine était recherchée par les forces armées européennes, alors que le colonialisme se répandait dans les régions tropicales. Aujourd’hui, le personnel militaire prend la majorité des doses de médicaments antipaludiques administrés. Il est logique que les militaires s’intéressent à leur développement et aient contribué à l’avancement de ces médicaments au fil des ans.

Big Pharma et le complexe militaro-industriel

Le Lariam a été mis au point par l’armée américaine vers la fin de la guerre du Vietnam dans le but de trouver un antipaludique efficace, économique et sûr. Les premiers essais signalés de la méfloquine ont été réalisés en 1975, sur des prisonniers du centre pénitentiaire de Joliette, dans l’Illinois, et un autre, l’année suivante, au Maryland House of Correction. Aucun détail de ces essais ne peut être trouvé.

Au cours des années 1980, l’industrie pharmaceutique a commencé à faire du lobbying auprès du congrès américain dans le but de commercialiser plus rapidement ses produits. Les protocoles de test retardaient le temps nécessaire pour mettre un médicament sur le marché et les compagnies pharmaceutiques voulaient raccourcir le temps nécessaire pour pouvoir générer des revenus plus rapidement.

Ainsi, lorsque la FDA a approuvé l’utilisation de Lariam en 1989, un certain nombre d’études critiques sur la tolérance et les interactions avec d’autres médicaments n’avaient pas encore été réalisées. Quelques mois après sa libération, des préoccupations en matière de sécurité commenceraient à apparaître, mais le médicament resterait le produit idéal pour la prévention du paludisme résistant à la chloroquine.

Début d’un scandale

Le Régiment aéroporté du Canada est parti pour la Somalie en décembre 1992, cinq mois après que le premier ministre Brian Mulroney avait engagé des troupes canadiennes pour la mission. Cette opération, appelée Opération Deliverance, ferait partie de l’opération Restore Hope, dirigée par les États-Unis, qui tomberait sous le contrôle de l’ONU et qui deviendrait ONUSOM II.

Des membres du Régiment aéroporté du Canada se sont rapidement mis en branle le 15 décembre 1992, à Bali Dogle, en Somalie, pour prendre la responsabilité de l’aéroport. Le Canada participe à une opération de secours de l’ONU dans ce pays d’Afrique de l’Est. (Photo CP / Andrew Vaughan)

La décision d’envoyer 2 Commando en Somalie avait été controversée dès le début. L’unité était réputée pour le racisme et était considérée comme le dépotoir des personnes ayant des problèmes de discipline. Le commandant du régiment avait été limogé pour avoir déclaré que le régiment était impropre à la mission et remplacé par le lieutenant-colonel. Carol Mathieu, qui dirigerait le contingent en Somalie.

Pour une raison quelconque, le MDN avait pris la décision de choisir le Lariam comme prophylactique antipaludique à utiliser lors de ce déploiement. Bien qu’il soit disponible aux États-Unis, Lariam n’était toujours pas disponible au Canada, mais il pourrait l’être s’il était utilisé dans un essai clinique.

Comme pour tout essai clinique, il faudrait respecter des protocoles stricts. Un essai clinique implique de nombreuses activités de surveillance, de test et d’enregistrement. Conscient de cela, le MDN a décidé de participer à l’essai clinique pour Lariam. Que personne ne se soucie ou non de rechercher des données cliniques existantes aux États-Unis est discutable, bien que je parie que personne ne l’ennuie.

Le ministère de la Défense nationale n’avait absolument aucune intention de faire ce qui était demandé pour l’étude, et cela a été apparent dès le début de la mission. Il n’y avait aucune surveillance, aucun signalement d’événements indésirables, aucun effort pour donner l’impression qu’ils essayaient.

Pire encore, les hommes ne savaient pas qu’ils étaient supposés participer à un essai de drogue. On leur a dit à quoi servaient les médicaments et quels étaient les effets secondaires possibles, mais ils n’ont pas reçu les formulaires à signer qui auraient constitué un consentement éclairé. À leur connaissance, ils n’auraient pas reçu les médicaments si le gouvernement avait pensé que c’était dangereux. C’est une hypothèse que nous faisons tout le temps. Ils auraient supposé mal.

Les effets indésirables

Il n’a pas fallu longtemps pour que des effets secondaires inquiétants apparaissent, similaires à ceux qui ont été signalés aux États-Unis. Anxiété, cauchemars, paranoïa, hallucinations, dépression et autres symptômes graves ont commencé à apparaître.

Il a été révélé ces dernières années que nombre de ceux qui servaient en Somalie avaient présenté ces symptômes, y compris ceux impliqués dans les incidents en question. Pour beaucoup, les symptômes persistent encore plusieurs années après la prise du médicament.

La scène était maintenant prête pour un scénario tout droit sorti d’un film; un bataillon de machines à tuer racistes fortement armées, très bien entraînées, potentiellement très psychotiques, serait largué dans une mission très stressante en Afrique. Le pire scénario était sur le point de se jouer.

Le résultat

Pour éviter que cela ne devienne un roman, je vais me passer de la plupart des détails, mais n’hésitez pas à faire quelques recherches en ligne. Les points clés sont que deux adolescents somaliens, Shidane Arone et Ahmed Arush, ont été tués et qu’un troisième, Abdi Hinde Bei Sabrie, a été grièvement blessé.

Le caporal-chef Clayton Matchee serait inculpé de la peine de mort d’Arone. Toutefois, il tenterait de se suicider en se pendant et subirait des dommages permanents au cerveau. En raison de l’étendue de sa blessure, il aura besoin de soins constants et il ne fera plus face aux accusations criminelles portées contre lui.

Le soldat Kyle Brown serait reconnu coupable d’homicide involontaire coupable et de torture et purgerait une peine de 40 mois de prison. Après sa sortie, sa vie a été difficile, car il continue de souffrir de SSPT et des effets neurotoxiques de la méfloquine.

Plusieurs autres personnes feraient l’objet d’accusations, mais la plupart d’entre elles seraient acquittées par une cour martiale. Ces hommes et des centaines d’autres membres de ce déploiement souffriraient d’angoisse psychologique provoquée par la neurotoxicité de la méfloquine, identifiée en 2006.

Ce n’est qu’en 2017 que l’armée canadienne a décidé de commencer à limiter l’utilisation de la méfloquine. Il n’est plus proposé comme première option de prophylaxie du paludisme lors de déploiements. En fait, il semble que la méfloquine soit de moins en moins utilisée dans le monde entier, alors que de nouvelles études sont demandées sur les effets à long terme. Les avocats en litige de nombreuses juridictions sont occupés à préparer des mémoires pour des actions qui totaliseront probablement des milliards de dollars.

Nous avons vraiment besoin d’une enquête Doover

Le ministre de la Défense, Art Eggleton, a réuni à la fin de 1995 une commission d’enquête de trois personnes sur l’affaire concernant la Somalie, qui a rendu son rapport en septembre 1997, après avoir été coupée par David Collenette, remplaçant d’Eggleton.

Collenette était devenu impatient avec la commission et, à la fin de celle-ci, de nombreux témoignages devaient encore être entendus. Le rapport final contenait 2000 pages réparties en cinq volumes et critiquait vivement le leadership et la culture du ministère de la Défense nationale. La méfloquine n’est mentionnée nulle part ailleurs.

Marj Matchee tient une photo et des bottes de son mari le Caporal-chef Clayton Matchee lors d’une manifestation contre la malaria pour le traitement de la méfloquine le 19 septembre 2017 sur les marches du Parlement, à Ottawa.
DAVE CHAN / LE GLOBE ET LE MAIL

En 2017, Marj Matchee, l’épouse de Clayton Matchee, a commencé à demander au gouvernement de rouvrir l’enquête. Depuis la publication du rapport incomplet de la Commission, de nombreuses informations ont été révélées et doivent être révélées. Si les informations avaient été disponibles à l’époque, il ne fait aucun doute que cela aurait eu une incidence sur le rapport final. Ne pas rouvrir l’enquête constituerait une erreur judiciaire.

Kyle Brown, Clayton Matchee et le reste des 2 CDO n’étaient pas des saints, mais certains avaient des opinions assez répugnantes, mais ils étaient des professionnels. De la façon dont je vois les choses, et beaucoup seront d’accord avec moi sur ce point, sans la méfloquine, cela n’aurait pas eu lieu. Les hommes du 2 CDO ne devraient pas avoir à porter le manteau de destroyers du Régiment aéroporté du Canada. Avec le Régiment aéroporté du Canada, ils méritent que leur réputation soit rétablie.

Ex coelis

D.B.

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1847738/

Click to access FA1-1999-1-0-eng.pdf

https://www.cbc.ca/news/canada/saskatoon/clayton-matchee-s-wife-wants-to-reopen-somalia-inquiry-1.4258889

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